Le design thinking est parfaitement applicable en architecture.
La réponse est donc oui. Notre agence Zebrandco utilise le design thinking pour la conception des espaces dans l’univers d’enseignement. Avant d’expliquer pourquoi et comment intégrer le design thinking dans nos projets, voici quelques définitions et explications.
Les sources d’informations sur le design thinking dans l’enseignement.
En 2020, le Ministère de l’éducation s’intéresse au design thinking en publiant un guide de 200 pages. Le document est bien rédigé et présente la méthode et quelques cas.
Il rappelle également que les plans successifs de rénovation des Universités françaises n’ont pas permis de repenser les espaces d’enseignement. La manière d’organiser les appels d’offre « au prix le moins cher » ne favorise pas le travail préalable de re-conception en profondeur. Les modes de prise de décision sont à revoir. Ensuite, il faudrait aussi envisager des processus de conception plus itératifs avec les architectes en amont de la définition des programmes.
Le guide précédent publié en 2015 , « Campus d’avenir : concevoir des espaces de formation à l’heure du numérique », mettait le focus sur les nouvelles pratiques d’enseignement et l’impact sur les espaces collaboratifs. Vous pouvez accéder sur le site services.dgesip.fr à d’autres guides et séries de cas.
Une rapide définition du design thinking
Définition du design thinking (ou ‘pensée design’ en français) est souvent employée de façon générique pour englober des pratiques et méthodes de conception variées qui répondent au besoin fort d’innover. En réponse aux mutations depuis 20 ans et à l’irruption du numérique, ces pratiques s’inspirent des techniques professionnelles de designers et des techniques créatives plus traditionnelles comme brainstorming. Elle intègre en plus des méthodes d’investigation ethnologiques employées en science et des méthodes agiles en développement informatiques. Mais, il ne s’agit pas uniquement de méthodes pour le design d’objets.
L’origine du terme réactualisé du design thinking est sans doute l’agence de design IDEO
Cette entreprise de Palo Alto, crée en 1991, dirigée par Tom Kelley (aujourd’hui par Tim Brown) a mis en place une approche originale de conduite de projets et une organisation peu hiérarchisée et multidisciplinaire dans son agence.
La place centrale a été accordée aux observations terrain, à la créativité et à l’expérimentation. Brown considérait que la méthode des designers centrée sur l’humain permettait de conduire des projets innovants dans toutes sortes de domaines.
En 2009, la sortie du livre Change by design de Tim Brown a créé la notoriété du concept de design thinking au niveau mondial. Le génie d’IDEO était surtout leur capacité à simplifier ce concept pointu, de le reformuler (design ethnographique, design UX) et de le modéliser. En l’enrichissant, IDEO a ainsi proposé un processus séduisant et facile à utiliser en dehors de l’univers du design.
Vous l’avez compris, ce ne sont pas tant de nouvelles méthodes, qu’un regroupement de plusieurs pratiques de création, adaptées aux nouveaux domaines d’application. Par exemple, dans notre univers, nous allons les appliquer pour la définition du programme d’architecture d’une nouvelle école.
Application de design thinking en architecture d’enseignement
Les premières applications de « design thinking » en architecture d’enseignement concernaient les bibliothèques. Les bibliothèques ont été vite bousculées par l’arrivée du numérique. Les besoins des étudiants et des chercheurs devenaient de plus en plus difficiles à appréhender. En outre, les bibliothèques, profondément impliquées dans l’économie de la connaissance, représentent un moteur du développement de la société. Il était essentiel donc qu’elles se métamorphosent.
Un exemple d’application est le résultat de l’étude sur les types d’environnement d’étude recensés à l’occasion de la rénovation de la bibliothèque de l’Université de Concordia de Montréal. La typologie réalisée recensa 22 types d’environnement d’étude, allant des espaces individuels ou collectifs aux lieux de détente ou encore aux ‘bacs à sable technologies’ ou studio de visualisation.
Bénéfices et facteurs-clés de réussite de design thinking en architecture d’enseignement
Les bénéfices majeurs d’une démarche de design-thinking est l’adaptation aux nouvelles méthodes d’enseignement. La démarche favorise un enseignement avec plus d’échanges dans des espaces mieux appropriés et dans une ambiance conviviale avec les étudiants plus actifs.
Quels sont les facteurs-clés de réussite?
Les facteurs-clés de réussite sont la participation et l’adhésion des parties prenantes. Deuxièmement, l’accès à des compétences spécifiques pendant l’élaboration du projet. Et troisièmement, une durée suffisante pour l’étape de conception.
Mais notre expérience démontre qu’il ne suffit pas de faire un groupe de travail ou brainstormings avec le personnel administratifs et quelques étudiants pour définir correctement le programme d’un ERP.
La conception d’un campus ou d’une école doit être effectuée en respectant les contraintes à la fois de la réglementation ERP, de la sécurité interne et externe.
Il faut tenir compte de la technologie déployée, des problématiques d’environnement et du budget disponible. Il faut donc intégrer au travail des spécialistes de construction et d’aménagement et les architectes experts de ce type de bâtiments. Par ailleurs, la notion de la définition du « besoin » en soi est un sujet complexe. Le rôle de l’animation impartiale est primordial. Le processus est intimement lié à la gestion de changement.
Les étapes du processus de design, comment les adapter?
Selon le livre de Tim Brown, les trois processus majeurs sont nommés inspiration, idéation et itération. A chaque étape correspond une série d’outils et méthodes.
Etape inspiration
Elle inclut le public par l’approche qualitative, par observation terrain, la cartographie, l’immersion et diverses méthodes génératives. Le but de cette phase et de ‘reformuler le problème’. Les outils seront des cartographies cognitives et génératives.
Si on cartographie des lieux de sieste des étudiants, on découvre qu’ils ne s’endorment pas dans les lieux calmes, mais partout.
Une carte cognitive sert à poser une question ouverte à un usager qui dessine la réponse et livre sa représentation mentale à travers un croquis.
Les méthodes génératives servent également à recueillir des données de manière non verbales, par exemple via un journal de bord, de photos ou à l’aide d’un jeu de construction.
Dans cette étape, nous procédons par de nombreux ateliers d’échange avec les différents utilisateurs. Nous faisons le relevé de leur modalité de fonctionnement et des interactions. Nous faisons également les premières quantifications des besoins.
Parfois, nous organisons les ateliers dans les showrooms des fabricants pour immerger les utilisateurs dans les environnements d’espace conçu autrement que dans leurs espaces existants.
Un exemple de question reformulée en méthode design thinking : « comment contribuer à la réussite des étudiants » au lieu de « comment déménager l’école sur un nouveau site ». Nous appliquons aussi des méthodes de questionnement d’inversion : “un espace mal conçu pour vous, cela ressemblerait à quoi?”.
Nous modélisons à cette étape progressivement les typologies des utilisateurs et les quantifions. Ils serviront dans l’étape deux ‘idéation’.
Phase d’idéation ou de génération d’idée
Au cours de cette étape, il s’agit de générer les idées en deux étapes. La phase de divergence interdisant toute censure, puis la phase de convergence de trie et de sélection. Des idées intéressantes sont ensuite rendues tangibles en les prototypant. Il s’agit d’un prototype rapide (basse fidélité) comme par exemple un storyboard ou maquette en carton basique. Ces artefacts facilitent la communication et les échanges entre les groupes qui ne partagent pas le même jargon professionnel.
La boite à outils de l’étape n’est pas uniquement un mur post-it. Il s’agit de différentes techniques (dessins, schémas, prototypage). Parmi les plus connus on peut citer la carte d’expérience ou Persona. Une façon visuelle et chronologique de présenter une expérience vécue d’un usager type.
L’atelier de création (brainstorming) avec les techniques comme inversion, analogie, métaphore pour générer le maximum d’idées.
L’atelier de co-design permet d’associer à la conception des usagers qui ne sont pas expert du sujet et qui grâce aux activités ludiques simples peuvent montrer leurs idées. Par exemple, on peut demander à un lecteur de remplir la future une du journal à l’aide des cartes sujets.
Exemple de nos outils :
Nous avons par exemple développé un outil de co-conception pour laisser les utilisateurs la possibilité d’aménager eux-mêmes les plateaux-plans. Ces plans sont conçus par notre agence en intégrant les contraintes techniques, de sécurité et des aspects liés à la construction. Ensuite, nous les imprimons sur un support rigide.
Nous fabriquons des éléments-type selon les typologies d’utilisateurs recensées lors de l’étape précédente. La période de quantification nous permet de donner aux utilisateur le bon nombre d’éléments-type à intégrer sur le plan. Par exemple 4 postes au marketing et 6 pour les équipes de ressources humaines etc. Les groupes d’utilisateurs travaillent ensuite seuls en atelier pour se mettre d’accord sur la répartition. Ils notent les interactions utiles à gérer directement en plaçant les pièces sur le plateau.
Dernière étape, phase d’itération et d’implémentation
Au lieu de soumettre à l’usager une idée brute ou un plan déjà terminé, il peut ainsi manipuler une maquette, un prototype. Le but de la dernière étape de design thinking n’est pas la validation rapide, mais le recueil de nouvelles observations pour retourner en atelier. Le processus doit se répéter ‘en boucle’ entre le terrain et l’atelier jusqu’à obtenir une solution fonctionnelle et validée.
Cette démarche est forcément itérative, car nous devons souvent intégrer de nouvelles contraintes qui apparaissent lors de la conception définitive des espaces. Nous proposons aussi souvent des optimisations par une analyse d’espace plus fine, mais en tenant compte des demandes structurantes. Cette étape permet de construire un consensus sur une base plus riche.
Plus généralement, dans d’autres univers d’application, les outils de l’étape Itération sont les tests d’utilisabilité. L’usager verbalise l’utilisation d’un prototype. On y associe aussi le PMV (produit minimum vivable), idée issue du développement informatique qui permet de livrer plus vite un ensemble utilisable avec un socle de fonctions utiles, au lieu de séparer le développement en fonctions et assembler finalement l’ensemble.
Il existe également le prototype vivant, grandeur nature, qui peut être modifié en temps réel selon les observations des utilisateurs présents dans l’atelier. Il est également faisable en aménagement d’espace.
C’est ainsi que la ville de Helsinki a fait réorganiser le FabLab de sa bibliothèque centrale avec les annotations sur simple post-it placés sur les équipements pour gérer en temps réel les réaménagements.
Les méthodes sprint ?
Dans les écoles d’art et d’architecture ou dans les agences de communication, tous le monde connaissait les ‘charrettes’. Une conception sprint (souvent de nuit) qui tire parti des contraintes et d’un temps limité.
Ces événements brefs connaissent beaucoup de succès sous les noms comme hackathon, make-a-thon etc. Il s’agit toutefois que d’une partie du processus de conception ou de génération d’idées, car la méthode de design thinking inclut des cycles de conception et d’itération progressifs.
Il ne faut pas donc confondre les ‘charrettes’ d’architectes avec la méthode de design thinking !
Doit-on jeter au panier le planning Gantt ?
La réponse est non. La planification linéaire fait partie en tout cas d’une partie du processus de conception. Il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain§
Gantt est utile, quand nous pouvons mettre en place une méthode de gestion de projet linéaire avec un planning, des tâches clairement définies et attribuées et des chemins critiques. Lorsque le projet nécessite la mise en place de jalons, par exemple décisionnels. Lorsqu’une étape projet a besoin d’un travail de recherche de solution pointue par une équipe d’expert (fabriquer un score algorithmique, faire un descriptif détaillé d’équipement technologique). Si toutes les parties-prenantes partagent le même but et les mêmes compétences et surtout, lorsqu’on sait d’où on part et où on va.
Dans les situations avec les idées vagues, thématiques nébuleuses, avec des partenaires multidisciplinaires et dans un cotexte mouvant, la méthode design thinking est une alternative adaptée. Elle est non linéaire et itérative. Idéal donc pour ce que Buchanan nomme « problèmes retors » qu’il faut résoudre par tâtonnement (essai/erreur).
Par exemple, un logiciel aujourd’hui ne sort jamais fini, il est sans cesse corrigé selon les feedbacks des utilisateurs. Le principe de design thinking est de ‘rechercher à échouer’ à bas coût, en début du processus pour éviter des catastrophes industrielles.
Ou de livrer un nouveau bâtiment d’école inadapté à l’usage quotidien et à la pédagogie.
Les cas de design thinking et sources utiles :
Le design thinking en bibliothèque : http://lrf-blog.com/design/
Learning centres, guide pour un projet de construction : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid66229/guide-projet-de-construction-de-bibliotheques-universitaires-learning-centres.html
Guide “Espaces universitaires : osons le co-design et le design thinking !”