L’engouement pour les nouveaux temples culturels est mondial. De New York à Sydney, la planète musée ne cesse de s’étoffer grâce au financement privé et parfois encore publique.
Mêmes les pays qui ont du mal à s’imposer sur l’échiquier géopolitique comme Palestine ou Kurdistan investissent dans de nouveaux musées. Car, les musées sont des gestes politiques de reconnaissance de la nation. Le cas emblématique de ce phénomène mondial est le nouveau musée de Naga au Soudan (près de Khartoum). Il va sans doute voir un nombre très limité de visiteurs, archéologues pour la plupart.
Il est logique également que la Chine démontre presque chaque semaine au travers un océan de projets d’architecture sa puissance. Sans oublier les monarchies pétrolières qui se payent la totalité des prix Nobel d’architecture en se livrant la concurrence. On y trouve presque un projet de musée par prix Pritzker décerné.
Nous avons déjà abordé le sujet de l’importance géopolitique de l’investissement dans les musées dans l’article l’architecture et le pouvoir.
Nous observons la conjonction de plusieurs phénomènes:
- La démocratisation de la culture et la globalisation de sa diffusion.
- L’arrivée massive du “artketing” avec les règles économiques dans l’univers culturel.
- La diffusion sur le marché international au nouveau public bien plus large et moins connaisseur.
- L’usage de la culture comme d’une nouvelle attraction touristique.
- L’architecture comme symbole de la puissance politique, historique, idéologique, nationale, économique ou régionale.
Un phénomène est nouveau.
Il y a plus de musées créés depuis l’an 2000 que durant tous les 19ème et 20ème siècles. En 2019, 700 musées construits en une année, qui dit mieux?
30 ans de réalisations qui illustrent toutes les tendances.
L’architecture des musées illustre très bien toutes les tendances depuis la higt-tech avec Le Centre Pompidou de Renzo Piano &Rogers, au minimalisme du musée d’art moderne de SANAA, en passant par le néobaroque de Bilbao ou encore le déconstructivisme de Liebeskind à Berlin.
Nonobstant, démystifions d’emblée l’idée qu’un projet de musée soit particulièrement complexe à réaliser.
La notion de complexité d’un sujet architecturale est parfois trompeuse. Concevoir des musées, en terme de programmation, n’est pas plus difficile que de concevoir un autre bâtiment publique.
Le grand ou le grandiose ne signifie pas systématiquement plus difficile.
Tous les musées comportent dans leur programmation la conservation et l’exposition des oeuvres permanentes ou éphémères. Puis, l’accueil du public, la gestion des flux et la mise en valeur des espaces commerciaux. Il faut penser correctement à la modularité et anticiper les circulations des visiteurs. Pour le reste, c’est un ERP, pas plus complexe qu’ une école.
C’est même parfois plus simple de pouvoir créer en toute liberté. En effet, il s’agit d’un espace dont l’agencement reste assez libre.
Cette liberté signifie justement que les musées sont souvent emblématiques d’une écriture architecturale ou d’un courant historique.
Travail sur la lumière et les matériaux
Ce qui rend ces réalisations particulièrement désirables pour leur créateurs, c’est le travail sur la lumière et les matières.
L’enveloppe extérieure est libre pour fermer ou ouvrir les espaces, créer ou pas des ouvertures. Elle autorise des expérimentations et des formes originales. C’est un exercice de style généreux pour exprimer une grande créativité architecturale avec un nombre de contraintes techniques classiques. En plus, les budgets sont souvent confortables. L’attente de qualité de choix de matériaux est évidente. Ceci ouvre également les possibilités créatives.
Une configiration de rêve pour un architecte
Dans la majorité des projets courants, l’architecte bataille avec un budget ridicule et la contrainte du m2 par occupant dictée par la rentabilité. Dans les projets le réaménagement d’une bâtisse sans intérêt à budget serré, il doit inclure un environnement réglementaire contraignant.
Sans omettre un voisinage souvent hostile ou la négociation avec les élus pour obtenir les agréments à temps. Ajoutons à cela des centaines de contraintes techniques et réglementaires liés aux ERP qui explosent le nombre d’interdits et de contraintes dans un tissu urbain complexe.
Rien de tel pour les projets où les commanditaires des Etats monarchiques offrent les dollars en quantité. Ils décident directement des règles d’urbanisme et proposent des espaces disponibles presque à l’infini…
C’est pourtant souvent dans les projets qui doivent s’insérer dans un tissu urbain existant, que se trouve une grande créativité. Sans doute, ceci reste moins visible pour le néophyte.
Peut-on reproduire 100 fois l’effet Bilbao?
Le sauvetage des cités par un projet culturel est-elle sans cesse reproductible? L’overdose des musées sans collection de qualité pointe-elle à l’horizon?
Vous avez compris, les nouveaux musées, ce ne sont plus des cimaises dans les cubes blanches.
La discipline muséale a adoptée la nouvelle technologie et la logique de parcours exploratoires. Avec toute la panoplie de marketing moderne. Il ne manque parfois que des collections de qualité où correctement restaurées et un véritable projet de recherche muséal. Ce qui ne manque pas, c’est le spectacle pour la société de divertissement qui en réclame toujours plus. Ni les boutiques bien achalandées.
L’architecture doit-elle être complice de la société de spectacle?
L’architecture est le miroir de la société.
Certaines réalisations sont des objets destinés à fasciner les foules. Ils s’apparentent à des vaisseaux spatiaux cédant à une surenchère formelle. L’architecte s’enferme ici dans la posture de ‘faiseur de forme’ , magnifiant le vide conceptuel du commanditaire. Le projet brillant de par l’absence de l’utile, du solide, du beau et du subtile.
Nous voilà levant la tête vers les plafonds tarabiscotés aux milieux des rampes complexes, se perdant dans les sous-sols immenses. Parfois, nous devons cacher notre vertige dans les escaliers monumentaux. On nous propose de goûter aux architectures “liquides”, expérimenter les explosions visuelles de formes et souvent aussi des immersions virtuelles en image…
Bientôt, allons-nous nous passer de collections pour rester simplement sidérés dans ces musées d’un nouveau type ?
A l’image du musée de Pingtan Art Museum, ce projet sous forme de raie Manta et d’une île flottante?
C’est une belle maquette présentée au salon du meuble de Milan, mais son contenu reste encore énigmatique.
La réalité est que les musées tirent aussi le marché d’art contemporain.
Le marché d’art moderne progresse. Il est à 75% tiré par les acquisitions des musées pour les gros achats supérieurs à 1 millions de dollars. On parle donc aussi d’une économie et parfois d’un monde de spéculation financière.
Il faut donc produire pour remplir les musées.
Trois projets remarquables pour leur apport particulier.
Dans ce nombre grandissant de musées, nous trouvons évidemment des chefs d’œuvres . Certaines constructions sont des exploits technologiques. D’autres réalisations sont les marqueurs d’une nouvelle époque, les “premiers” du genre, comme fut le Musée de Bilbao.
D’autres encore, plus petits, moins spectaculaires, sont parfois moins médiatisés que des paquebots grandiloquents au goût homogène international et pastiche. Mais, ils apportent une idée nouvelle.
Quelques cas exemplaires :
The Shed à New York est une véritable prouesse technologique qui aborde le sujet de mobilité et de flexibilité de manière radicale. Car, il faut accueillir dans les musées souvent des réalisations monumentales et des performances multi-média. Les espaces sont transformables à grande échelle.
The Shed à NewYork est un champion d’une nouvelle modularité.
Toute la structure est modifiable, grâce aux résilles de métal placées sur les rails pour accueillir en cas de besoin des oeuvres de grande taille ou même pour créer une esplanade ouverte pour 3000 spectateurs.
Certains projets de transformation des espaces industriels sont aussi remarquables.
Nous rendons ici un hommage appuyé à la transformation des anciens silos à grains de la ville de Cap en Musée dédié à l’art africain. Une idée absolument extraordinaire qui laisse sans voix. Et pourtant simple en apparence .
Plus classique, la transformation d’un chantier naval en joyau muséal à Shanghai pour le musée Long Museum. Les architectes ont conservés sur place un tapis roulant de 110 mètres longs servant à transporter le charbon comme élément structurant le musée.
Dans la première vague des musées spectaculaires, nous avons sélectionné quelques valeurs sûres.
Voilà une liste éclectique des œuvres qui durent ou qui ont marqué leur époque.
- Mona Museum of Old and new Art/ Berriedale à Australie/2011/Fender Katsalidis
- Mount Fuji Wold heritage center/Japon/2017/Shigeru ban
- Musée juif /Berlin/ Liebeskind
- Musée de Quai Branly à Paris / Jean Nouvel
- MuceM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerrannée/2013/Rudy Ricciotti
- Musée hergé/Louvain-la-neuve/Belgique/ Christian de portzamparc
- Musée d’art contemporain de Rome/ Odile Decq
- Musée d’Acropole à Athènes/ Bernard Tschumi
- Musée d’Art contemporain de Castille / Léon/Espagne/2004/Louis de Mansilla et Tunon
- Musée des Sciences, planétarium et opéra / Valence/Espagne/2006/ Santiago Calatrava
- Palais des beaux-arts de Lille/4997/jean-marc ibos et Myrto Vitart
- Musée du Louvre lens/2012/Sanna
- Tate moderne de Londres/Herzog&de Meuron
- Guggenheim de Gehry à Bilbao
- Le musée du grand-Hornu /Belgique/Pierre hebbelinck
- Le musée de la Ruhr/Essen/ Rem Koolhas
Une nouvelle vague muséologique! Le panorama plus récent.
Quelques nouvelles créations marquent les années post 2000 et l’ère de la globalisation.
Voilà les musées tout juste sortis de terre. Ce qui marque cette période récente, c’est le fait que le centre de gravité se déplace ( à quelques exceptions près) vers l’Asie et les pays du Golfe.
Toutefois, le marché de l’art dopé par les acquisitions des musées est encore à 64% tiré par deux pays : les Etats-Unis et la Chine. C’est un indicateur intéressant. La France représente que 4%.
- National Museum of American History&Culture/washington/Adjaye Associated/2016
- Museumplein Limbourg/Kerkrade/Pays-Bas/2015/Shift Architecture urbanisme
- Lego House de Billund/2017/Big
- Zeitz Museum of contemporary Art Africa/ le Cap/2017/Heatherwick Studio
- Naga Site Museum/2008/naga/David Chipperfield Arch.
- Palestine Museum/Birzeit en Cisjordanie/Heneghan Peng Arch./2016
- National Museum of Qatar, la rose des sables de jean Nouvel/2018/Doha
- Pingtan Art Musem/2011/projet/Mad/Chine sous forme de raie manta
- Museum of contemporary Art&Planning exhibition, le Mocape /Shenzen/2016/Coop Himmelb(l)
- Musée de Confluence de Lyon/ Coop Himmelb(l)au
- Long Museum/ Shanghai/2014/Atelier Deshaus
- Fuyang Cultural Complex /2017/WangShu, Pritzker2012/le village des musées
- Yumin Art Nouveau collection/Jeju Island(Corée du Sud)/JAC/ 2017,
- suite du musée Genius Loci de Tadao Ande (tout l’inverse de la tendance spectaculaire)
- Musée Soulages de Rodez/RCR
Pour finir, voici quelques projets futurs.
Nous en avons trouvé partout les visuels en 3D. Mais, ces projets n’ont pas commencé ou ne sont pas terminés:
- Le China Comic&Animation Museum (projet depuis 2011)/MVRDV
- The Shed /NY/2019/ Diller Scofidio et Renfro
- Munchmuseet/Oslo/2019 /Estudio Herreros
- Kurdistan Museum/erbil/2009-projet/Liebeskind
- Zayed national Museum/2020/Foster/Abu Dhabi (Emirats Arabes unis), pas loin du Louvres de Jean Nouvel.
- Sydney Modern project/Sanaa(Sejima+Nishizawa), 2021
- Meixihu International Culture&Art Center/2013-projet/Zaha Hadid, décédée en 2016
- Fondation Pinault /Bourse de Commerce à Paris/2019
- Extension de la Fondation Beyeler par Peter Zumthor (voir notre article).