Fondation Cartier, exposition #Freeing Architecture de l’architecte japonais Junya Ishigami : penser l’architecture librement.
On le devine en lisant le nom, il s’agit d’un architecte japonais. Je dirais même plutôt et avant tout d’un penseur d’architecture.
Voilà mes impressions au retour de l’exposition.
Incontestablement, Ishigami sait “penser l’architecture librement” et de manière très subtile.
Il s’agit d’un artiste qui développe un raisonnement propre et captivant. Indubitablement, il conçoit de manière originale.
Il sait également exprimer subtilement son processus créatif et très bien l’articuler.
Selon ses propres mots :
« J’aime penser l’architecture librement. En anticipant le futur où vont se matérialiser de nouveaux rôles et conditions pour l’exercice de l’architecture. »
L’exposition présente une oeuvre variée et les thèmes expérimentaux propices à la conceptualisation :
On découvre à travers d’une trentaine de maquette jardins d’enfants, une chapelle œcuménique en Chine, un musée, un parc paysagé, une maison-restaurant et une maison-jardin. Mais aussi, un espace de méditation ou encore un monument et une sculpture urbaine.
Pour tous les projets, nous ne relevons aucune répétition conceptuelle lassante.
Ce qui n’exclut pas de percevoir une écriture amplement personnelle.
Toutefois, Ishigami est un remarquable exemple d’artiste qui présente peu de projets aboutis. Nous constatons dans l’exposition davantage de concepts et de projets inachevés que des réalisations terminées.
Il y a souvent un pas difficile à franchir entre l’architecture conceptuelle d’un puriste et la vraie vie.
Quel filiation peut-on envisager pour Ishigami ?
Le travail d’Ishigami s’inscrit parfaitement dans la culture d’architecturale japonaise et aussi dans le courant d’architecture conceptuelle et minimaliste.
Le Japon est coutumier du fait en raison même d’un territoire exigu, d’une population dense et d’un espace vital compté de se libérer du spectacle et de l’architecture grossière et grandiose.
Comme en art plastique, avec peu d’action, l’art minimal peut produite une infinité d’émotions.
Ainsi, en 2003, l’architecte japonais Kinya Maruyama réalisa une petite extension de crèche à Yuri Honju. C’est un petit chef-d’œuvre de poésie, de sens de la nature et d’humour avec de petits moyens.
En 2005, Terunobu Fujimori, un autre architecte japonais, réalisa la Maison du thé au musée Kiyoharu Shirakaba Museum. En respect de traditions (hommage à l’architecte Rikyu du XVIeme siècle) , avec une ouverture au monde et préoccupation environnementale, sous forme d’une cabane perchée sur un cyprès.
Ishigami semble également être d’une certaine manière un disciple naturel de Koolhaas. Qui a souvent réalisé avec un simple jeu de lignes et quelques pilotis des œuvres d’une extrême légèreté.
La réalisation d’Ishigami de l’atelier d’étudiant KAIT Workshop avec ses 300 colonnes fines d’une apparente irrégularité, évoque une organisation anarchique et organique d’une forêt.
Cette exposition présente donc quelques exemples où la puissance d’imagination, la simplicité, une idée forte et une intention claire font toute la différence. Loin de l’architecture grandiose, mégalomane et grandiloquente, qu’on célèbre parfois en sacrifiant l’imaginaire au spectaculaire.
Ceci ne signifie pas que chaque projet ne soit pas non plus un défi technologique pour les ingénieurs Structure (ABT ou Jun Sato Structural Engineers ou CCDI Group). Le parfait exemple en est Centre d’accueil du Park Groot Vijversburg Visitor Center. La structure en acier repose sur de simples parois en verre dont la courbure assure la stabilité de la structure.
Du concept à la réalité
Les nuages.
Il y a toutefois encore souvent un pas difficile à franchir entre le rêve et la réalité.
Un concept fort et séduisant en maquette, peut être contredit par l’expérience des occupants.
Lorsqu’on imagine un étage de jardin d’enfant (Cloud Garden) avec un décor sous forme de nuage blancs en béton, l’idée est séduisante et la maquette très poétique.
La réflexion sur l’échelle de perception des espaces d’un adulte et d’un enfant est très pertinente.
Le fait est que les enfants préfèrent des espaces colorés. L’ensemble n’est pas facile, ergonomique et agréable à utiliser pour la vie de tous les jours.
Cependant, la réflexion intéressante sur l’échelle et les espaces adaptés uniquement à la taille et la vision des enfants se retrouve également dans les projets de Kids Park et de Forest Kindergarten.
La solidité.
Créer un restaurant et la maison du restaurateur entièrement enterrée et troglodyte en coulant le béton dans les moules inversées est un concept nouveau.
House&Restaurant attirerait sans doute une clientèle curieuse d’expérimenter un restaurant-grotte en béton enterré. Mais, je doute que les espaces privés soient extraordinairement agréables à vivre. On peut également interroger la notion écologique du projet qui consiste à enfouir une quantité astronomique de béton dans la terre.
Pourtant Ishigami dit clairement que penser librement architecture ne signifie pas de satisfaire la seule expression de l’architecte, mais intégrer les usages et conventions passés.
L’exposition présente d’ailleurs parfaitement ses recherches sur la fonction, la forme, l’échelle et l’environnement.
Maquette comme ouvre remarquable
Ce qui est absolument sublime dans l’exposition est le travail titanesque réalisé autour d’une trentaine de maquettes. Elles sont toutes différentes par leurs matériaux, niveau de détails.
Ce sont en soit des œuvres. Le processus de maturation de l’idée y est clairement perceptible. Pour chaque projet, il est possible de suivre le cheminement de la pensée, de la théorie vers le savoir en intégrant la technologie.
On perçoit de manière évidente la dimension poétique d’Ishigami. Qui est sans cesse à la recherche de l’équilibre entre la théorie et l’expérimentation, le savoir et la technologie.
Un univers et un talent à explorer sans hésitation.
Pour y aller: Fondation Cartier, exposition #Freeing Architecture de l’architecte japonais Junya Ishigami : Penser l’architecture librement
Prolongation jusqu’au 9 septembre 2018.
Fondation Cartier pour l’art contemporain
Fondation Cartier, exposition #Freeing Architecture_ Junya Ishigami.
Quelques liens utiles :
sur Fujimori Vidéo
Wiki sur fujimori
Voir aussi l’articles sur Maruyama sur le blog